On est en train de réfléchir à cette question avec une prof de français pour un atelier d’écriture avec une classe de 4ème. Quel point de vue choisir pour écrire ?
Forcément, la question se pose dès le démarrage de l’écriture : comment est-ce que je vais raconter mon histoire, qui va en être témoin, qui je vais faire vivre ?
Pour cet atelier d’écriture, l’idée est de partir d’une anecdote, d’un fait divers ou d’un élément historique, puis de chercher quel serait le meilleur point de vue pour le raconter.
Exemple (tiré d’un de mes livres qui va paraître tout bientôt, et que j’Y beaucoup, mais chut je ne dis pas lequel sinon ça vous spoile l’histoire – pardon il paraît qu’au Québec on dit « divulgacher » c’est beaucoup mieux).
Alors voilà : deux hommes qui portent des masques de dessins animés de Walt Disney, font un casse dans une bijouterie et emportent la somme rondelette de 23 millions d’euros. La police a beau chercher partout, elle ne retrouve pas les malfaiteurs. Mais dix jours plus tard, pas de chance, l’un d’eux a un accident alors qu’il roulait à scooter sur la place de l’Etoile à Paris. Crac, arrêté et mis en prison, vu qu’on retrouve des bijoux volés dans son sac.
Fin de l’anecdote (et début des problèmes).
Bon, comment on se débrouille avec ça ? Si vous deviez inventer une histoire à partir de cette anecdote, vous choisiriez de la raconter comment ?
– première option : je choisis le point de vue du voleur, disons celui qui se fait prendre, et je raconte tout le casse par le menu, sans oublier la tristement bête arrestation (hop, dérapage incontrôlé, glissade sur le bitume, et coup de téléphone aux forces de l’ordre)
– deuxième option, je m’occupe du policier (bon, sur ce coup-là, il n’a pas un rôle de super-héros étant donné qu’il patouille dans la semoule sans retrouver les coupables). C’est finalement un stupide accident de la route qui lui permettra de clore l’affaire.
Bon, on va dire qu’il faudra en ajouter une couche sur la psychologie du policier. Peut-être qu’il mène en parallèle une autre enquête, ou alors qu’il a des problèmes de famille, ou alors que l’action sera super lente. Ou notre histoire très courte.
– troisième solution, je suis le conducteur qui a fait une queue de poisson au scooter, et crac accident. Ou alors je me promenais gentiment sur la place Vendôme quand deux voleurs ont surgi. Ils portaient des masques de Blanche Neige et de Pocahontas et ont dévalisé la bijouterie en 22 secondes.
Bref, je choisis le point de vue d’un témoin.
– quatrième option, plus audacieuse : je suis un extra-terrestre / un ange / un elfe / un dieu et juché sur mon petit nuage / ma soucoupe volante invisible / ce que vous voulez, je raconte tout. Comme les êtres humains sont bêtes, vu du haut !
Point de vue amusant, mais très casse-gueule.
– cinquième option : celle que j’ai choisie pour mon livre (aucune de celles qui sont décrites ci-dessus) et ne comptez pas sur moi pour tout vous dire en avant-première. Donc la cinquième option, vous l’inventez.
Attention, c’est parti !
Vous avez le droit :
– d’inventer le nom des personnages, de leur définir un passé, des désirs d’avenir, une famille, etc.
– de choisir le masque porté par les deux voleurs. Oui je sais, il va falloir évacuer des centaines de candidats walt-disneyiens, mais l’écriture est toujours une affaire de choix, et un choix est souvent cruel.
– de faire long ou court (disons entre 10 lignes et 150 pages)
– d’écrire à la première ou à la troisième personne, d’avoir un narrateur omniscient, interne ou externe (normalement vous connaissez ces termes, sinon relisez votre cours, parce que je ne vais pas tout répéter, il y a des limites à ma générosité)
– de choisir le temps verbal qui vous chante, mais attention au passé simple et à ses formes souvent fallacieuses (évitez les « il courit très vite et choisissa de se réfugier sous un porche »)
– d’être original, mais pas trop non plus. Choisir le point de vue de la chaussure du voleur n’est pas forcément une bonne idée. Ou alors il faut vraiment maîtriser son sujet (au pied). Le but, c’est décrire un texte efficace, qui tienne le lecteur en haleine.
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