Écrire à quatre mains

Depuis plusieurs années, je tâte de l’écriture à quatre mains. Un peu, beaucoup, à la folie. Je n’ai pas compté le nombre de livres publiés en binôme, mais à mon avis ça dépasse la vingtaine.

Et j’adore. Je travaille avec Sylvie Baussier et avec Véronique Delamarre Bellégo, avec qui nous avons choisi un pseudo commun, Fanny Gordon.

Écrire à deux, pourquoi ?

L’écriture est, par définition, un acte solitaire. La structure d’un récit naît dans un cerveau, plus ou moins confusément. Une fois qu’on y voit clair, il s’agit de coucher l’histoire sur le papier.

Frotter son style et son imaginaire avec celui de quelqu’un d’autre est un drôle de défi.

Génial parce qu’il coupe la solitude.

Génial parce qu’il oblige à verbaliser des mécanismes qui, sinon, restent flous ou non conscients.

Génial parce que l’enthousiasme et l’énergie de l’autre donnent un coup de fouet et aident à se remettre en cause.

Génial parce que l’autre voit clair là où on bloquait, et inversement.

Génial parce qu’il permet de prendre conscience du fonctionnement de son cerveau, qui n’est pas forcément le même que l’autre.

Écrire à deux, comment ?

Le truc incroyable, c’est… qu’il n’y a pas de formule. Impossible d’établir une recette qui fonctionne à tous les coups.

Avec Sylvie, nous nous connaissons bien maintenant, mais chaque aventure est un nouveau défi, un nouveau départ. Parfois, pour les textes courts, l’une écrit la base, et l’autre retravaille dans le détail. Mais le plus souvent, nous jouons au ping-pong : chacune écrit un passage, puis l’envoie à l’autre, qui prend le relais – une fois que nous connaissons les personnages et savons à peu près ce qu’on veut dire, évidemment. 

Au final, le texte est tellement retravaillé qu’il est presque impossible de dire qui a écrit telle ou telle phrase, à la base. On retouche ce que l’autre a écrit, on le reprend, on met sa patte si besoin, on joue avec. On s’approprie les idées pour que le texte y gagne.

On retravaille, encore et encore. (Ah oui, un détail : les droits d’auteur sont divisés par deux, mais pas le travail, je ne crois pas mettre moins de temps à écrire un texte à quatre mains que seule – ce n’est pas le même travail, c’est tout.)

On en parle, on rigole, on se pose des questions, on essaie. L’autre pointe du doigt mes tics d’écriture, et inversement. On observe, on s’essaie, on se critique.

Et c’est là que la magie opère : le texte n’est plus une association de deux styles et de deux imaginaires, mais bien un style et un imaginaire nouveaux ! Un nouvel ADN issu de deux patrimoines génétiques différents !

Écrire à deux, des règles ?

S’il n’y a pas de mode d’emploi précis, je crois que, pour que le binôme fonctionne, il faut quand même respecter certaines règles :

Oublier son égo au placard : si vous ne supportez pas qu’on vous dise que cette phrase est maladroite, que votre idée est nulle, cessez immédiatement toute collaboration !

Un peu comme une relation de couple : si vous avez envie d’écraser l’autre ou de faire uniquement ce qui vous plaît, vous, ça ne marchera pas longtemps. Et ça se finira dans la douleur !

Respect et bienveillance : Ce point découle du précédent. Et il est fondamental.  Quand quelque chose ne va pas, il faut prendre le temps d’en parler, systématiquement. Donc tiens, voilà le troisième point : la communication.

Je sais que l’autre ne me fera pas de sale coup, qu’il donnera le meilleur de lui-même. On écrit dans la confiance, sereins et attentifs. Notre objectif est commun : écrire le meilleur livre possible !

Transparence : Ce point découle du précédent (je me demande si je n’ai pas déjà utilisé cette formule ?). Non, je n’enverrai pas de mail à l’éditeur sans en parler à l’autre, non je ne prendrai pas d’initiative qui puisse le mettre mal à l’aise. je ne la jouerai pas perso.

Et oui, je dirai TOUT ce qui me semble important. Parce que ça nous permettra d’avancer, et parce qu’on grandira d’en avoir discuté.

Exactement comme dans une relation de couple, j’y reviens.

Un rythme similaire : Je suis assez réactive, et je crois que j’aurais beaucoup de mal à écrire avec quelqu’un qui ne me ressemble pas, de ce point de vue. Qui prenne des semaines pour écrire une page. Je me connais, mon énergie disparaîtrait dans l’intervalle.

Il n’est pas forcément essentiel de se précipiter sur le texte dès qu’on le reçoit (quoi que, généralement, c’est dur de résister !) mais de prévenir l’autre de la date à laquelle on pense lui envoyer la suite. Histoire de pouvoir s’organiser.

Ne pas se prendre trop au sérieux. D’accord, l’écriture c’est notre métier, d’accord l’idée c’est de publier un texte. Mais c’est aussi s’amuser, rigoler. S’aventurer sur des chemins qu’on n’aurait pas osé suivre seul.

D’accord il y aura sûrement des moments où on sera en surchauffe parce que l’éditeur attendra un retour dans la minute, et qu’on ne sera pas prêt.

D’accord.

Mais avant tout, ce qui compte pour moi, c’est de découvrir un nouvel univers, de m’amuser et d’aller au bout d’une aventure commune. Un peu comme une histoire d’amour (tiens, je me demande si je ne l’ai pas déjà utilisée, cette image ?) : s’il n’y a pas de plaisir, on oublie tout de suite !

Alors vive l’écriture à quatre mains !

Matériel nécessaire : deux claviers équipés d’Internet, deux téléphones avec abonnement illimité, du temps (pas forcément en illimité mais en quantité clairement définie), de l’énergie (oh ouiiiiii !) et l’envie d’avancer (mais on a le droit d’avoir des coups de mou).

Laisser un commentaire

error: Content is protected !!