Scoop : aujourd’hui, je vais vous parler de ma toute première fois. Parce qu’elle compte toujours plus que les suivantes, parce que j’en ai gardé un souvenir ému. Et parce que les évolutions éditoriales actuelles m’incitent à y repenser – foutu monde économique.
Promis j’éviterai les détails trop intimes, promis les oreilles et les yeux chastes ne seront pas terrorisés pour plusieurs années.
Ma première fois est intimement liée à la grossesse. J’étais enceinte, en vacances, et bloquée sur un lit, par ordre du médecin. Comment passer le temps ? En lisant, bien sûr.
Or, nous avions pris nos quartiers d’été dans un studio appartenant à une tante, laquelle avait été, durant quelques années, représentante chez Bayard Presse. Au-dessus du lit, étaient donc alignés des mètres et des mètres de Je Bouquine.
J’ai dû en lire une trentaine à la suite.
Forcément, j’ai fini par me dire “Et si j’en écrivais un pour eux, moi aussi ?”
Pour ceux qui ne le sauraient pas, dans chaque numéro de Je Bouquine, on trouve un roman inédit. Me voilà partie à évaluer la taille de cette histoire en comptant le nombre de lettres par page (je sais, je sais, le procédé est archaïque et porte à sourire, mais je vous parle d’une temps où l’ordinateur était réservé à quelques happy few, et où les sites internet des éditeurs n’affichaient pas clairement leurs besoins à l’attention des auteurs potentiels).
On rentre à la maison, et je me lance bravement dans l’écriture. J’avais déjà taquiné la muse à l’occasion (et même un peu plus qu’à l’occasion) mais pour la première fois, je termine l’histoire. Relecture, corrections, impression, reliure, et envoi.
Je me souviens que l’historie s’appelait “Club théâtre”. On y croisait une jeune fille timide, un club théâtre revigorant et un prof de français terrifiant.
Par chance, je reçois une réponse très rapidement.
En substance, on me dit “Votre histoire est pas mal du tout, mais elle avance à la vitesse d’un TGV. Prenez le temps d’installer vos personnages, prenez le temps de raconter les différentes séquences, et surtout prenez le temps de raconter la fin en détail.”
Bon. Mais si je fais ce qu’on me dit, la taille du roman va exploser, et ne correspondra plus à celle d’un Je Bouquine (toujours la même histoire du nombre de signes comptabilisé de manière archaïque).
Qu’à cela ne tienne, du coup mon histoire a la taille d’un roman jeunesse. Relecture, corrections, impression, reliure et questionnement : à qui envoyer mon texte ? Après réflexion, j’opte pour Rageot, dont j’ai adoré plusieurs romans (notamment Un si terrible secret d’Evelyne Brisou-Pellen ou L’ordinatueur de Christian Grenier).
Là-dessus (je suis de nouveau enceinte, je vous ai prévenu, c’est une histoire intimement liée à la grossesse) j’envoie mon texte et me prépare à déménager.
Cartons, déballages, peinture, gros ventre, fatigue.
Un matin d’octobre, coup de téléphone. Je suis dans la chambre de notre nouvelle maison. La sonnerie résonne fort dans cette pièce qui manque de meubles, le téléphone est par terre, faute de meilleure place. En bas, un ouvrier est en train de prévoir de futurs travaux, il faudrait que je descende. Je décroche en espérant que ça ne dure pas trop longtemps.
– Bonjour, c’est Caroline Westberg, des éditions Rageot. Je vous appelle parce que nous avons lu votre roman, Club théâtre. il nous intéresse. On peut convenir d’un rendez-vous pour faire connaissance ?
– Ben euh… Oui.
Un peu sonnée, je note l’adresse, incapable de me réjouir encore. Qu’est-ce que ça veut dire exactement “votre texte nous intéresse” ? Est-ce qu’ils vont le publier, oui ou non ?
Une semaine plus tard, vêtue d’un atroce ensemble violet (je n’ai pas de photos du vêtement en question, dommage, mais il ne me semble pas exagérer en disant qu’il était épouvantable – ceci dit, enceinte de 8 mois 1/2, ma garde-robe était limitée), je sonne aux bureaux de Rageot (depuis, ils ont changé d’adresse).
La veille, j’ai téléphoné à une amie auteur, qui m’a conseillée d’être sûre de moi.
Résultat, je ne crois pas exagérer en disant que je me montre sèche, limite odieuse (on va dire que j’ai l’excuse du gros ventre, pas sûr que ça passe). Dans un semi-brouillard, j’écoute Caroline Westberg me parler de contrat et d’une tonne de points que je ne maîtrise pas du tout. Je hoche la tête, je fais celle qui comprend, je suis lamentable. Désolée Caroline, j’étais juste terrorisée et d’une naïveté confondante.
Mais le livre va être publié, et ça c’est absolument super.
La suite c’est accouchement, relecture, corrections, fatigue, nouvelle salve de corrections.
Le roman sort en mars (un délai aussi court, c’est inimaginable à l’heure actuelle), il s’appelle finalement En scène les 5è et se taille un joli succès, c’est le début d’une belle histoire – je trouve.
Ensuite, les romans s’enchaînent. j’éprouve le besoin de publier aussi ailleurs, il me semble que j’ai besoin de ça pour m’assurer que mon travail vaut quelque chose. Après plusieurs années (et deux autres grossesses, on ne s’en sort pas) je re-frappe de nouveau à la porte de Rageot, on y est bien…
Depuis le premier livre, les années ont passé ! Cette toute première fois a été suivie de beaucoup d’autres.
A chaque fois, l’aventure d’une publication est un parcours semé de nouveaux plaisirs, de nouvelles embûches ; à chaque fois le défi est renouvelé. Et je suis heureuse d’en faire mon métier.